04. Do you believe in conspiracy ? [Calvin & William]

Un véhicule s’élançait à toute allure sur les routes étroites de Washington Street, perturbant le calme des lieux et du biotope. Il s’agissait bien entendu du quatre roues motrices du tenant du bar du drugstore. Il arpentait nerveusement le chemin menant tout droit à la ferme des Ferguson, dégageant derrière lui une trainée de poussière. Une fois arrivé à bon port, c'est-à-dire au beau milieu de l’exploitation, Douglas ne prit même pas le soin de trouver un emplacement pour garer proprement son véhicule. Non, il le laissa en plein milieu de la petite place centrale improvisée. Calvin ouvrit ensuite la porte de son pick-up, prenant quelques papiers dans sa main droite. Il était très irrité par les amendes successives qui étaient tombées sur le coin de sa gueule. C’était d’ailleurs la raison de sa venue vers la plus haute autorité de la ville. Il croisa sur son chemin un petit jeune auquel il ne prêta pas la moindre attention.

«Traîne ton cul merdeux loin de ma caisse espèce de Hobbit !»

D’une démarche décidée, il se dirigeait tout droit vers le bureau de l'élu politique de cette ville. On en voulait à son porte feuille pour tapage diurne et consommation d’alcool sur la voie publique principalement. Ca confirmait sa théorie un peu folle sur ce qui se passait dans le village depuis quelques temps. Alors qu’il se rapprochait de l’entrée de la ferme, un type ouvrit la porte devant ses yeux. Il s’agissait de l’autre simplet là dont il ne se souvenait plus du nom. Ah si, ce n’était pas Anden ?...ou un truc comme ça...Il lui fit comprendre qu’il ne pouvait pas entrer comme ça. Calvin lui offrit en guise de réponse son majeur en plein extension, un petit sourire moqueur au coin des lèvres.

«Pousse-toi le lèche-cul, j’ai la clef !»

Le barman pénétra dans les locaux du maire avec la ferme intention d’aller au bout de son idée. Il parvint à se guider dans les couloirs menant jusqu’au bureau de William Ferguson, animé d’une énergie incontrôlable. Dans ces conditions, il ne pouvait que semer le désordre partout où il passait. Après avoir toqué à la bonne porte, il se permit d’entrer sans même avoir eu la patience d'attendre que William l’y autorise. Avec son petit sourire moqueur aux lèvres, il constata en premier lieu que ce dernier était plongé dans sa déprimante paperasserie…

«Ohoh bonjour Monsieur le maire…ou vous préférez William ?...Peu importe, je ne suis pas venu ici pour sympathiser…En fait, techniquement, je me pointe parce qu’il semblerait que certains aient dans l’idée qu’on puisse m’emmerder impunément…»

Calvin prit le temps de lire les grandes lignes de la lettre qu’il tenait dans sa main et balança tout ce qui circulait frénétiquement dans son esprit à l’atmosphère explosive.

«Tapage diurne ? Non mais c’est quoi ces conneries ? Parce que j’ai mis un coup de klaxon l’autre jour ?! Et la meilleure ! Consommation d’alcool sur la voie publique et perturbation de l’ordre public ! Dés qu’on se prend la tête à la sortie d’un bar avec une bière à la main on se chope des prunes pareilles ?! Putain, si ça devait arriver à tous ceux qui ont vécu cette situation, vous auriez de beaux bijoux de famille en or massif à la place de vos pitoyables dés à coudre d’agriculteur huh ?! C’est marrant parce que j’aimerais bien savoir qui lèche le cul de qui dans cette ville…bizarrement je n’y comprends plus rien parfois…j’en connais d’autres qui ont accompli des méfaits et qui sont mystérieusement couverts…Alors, je viens directement voir celui qui se trouve en haut de la chaîne alimentaire pour prendre la température et annoncer que je ne lâcherai rien.»

« … bien ! »

« … eh bien Douglas, si vous ne payez rien, le shérif se fera un plaisir de venir vous réclamer la somme due lui-même lorsque l’échéance sera passée. Je ne vois pas ce que je peux vous dire de plus à ce sujet. Il est donc clos. Une bonne journée Douglas, et au plaisir »

Tellement prévisible. Ce bon vieux William Ferguson ne lui laissait pas le choix. Calvin parvint à maîtriser cet agacement perpétuel que lui offraient des types tels que l’élu de Grayson par exemple. Non, il ne lui faisait même pas la leçon contrairement à d’autres. Il cherchait juste à se mettre en retrait et à écarter le problème. Que croyait-il ? Que Calvin allait repartir si vite après qu’il lui ait énoncé ses prévisions ?

Un petit rictus d’agacement passa furtivement sur le visage du barman avant qu’il ne se remette à afficher son sourire narquois habituel.

«Hm, vous voulez faire la sourde oreille ? Le mec qui ne comprend pas de quoi je parle ? Très bien…dans ce cas, je vais essayer d’être un peu plus précis et de parler un peu plus fort…»

Et après, tout le monde se demandait pourquoi ce type était aussi détestable. Il inspira profondément, déambulant dans la pièce tout à fait à son aise pour s’installer quelques secondes plus tard sur un des fauteuils faisant face au bureau de William Ferguson.

«Au contraire, je suis sûr que vous devez avoir des choses à me dire ! Je suis sûr que ça dépasse ces amendes aussi bidons que vous…et je suis sûr que ça ne me concerne pas seulement…»

Calvin croisa les bras, tout à fait à son aise, scrutant les murs du bureau du maire de Grayson un bref instant. Bien sur, il se foutait pas mal de l’architecture intérieure chez les Ferguson. Il tentait juste de faire le point sur tout ce qu’il avait pu constater ces dernières semaines pour mieux repartir sur la voie de la dévastation.

«Ok je vais vous dire ce que je sais…Je vois déjà, à votre manière de me regarder, que vous ne m’avez jamais apprécié! Mais, c’est votre droit et à vrai dire je m’en fous de ce que vous pensez de moi. Cessons de parler de moi un moment. Ce n’est pas mon genre de balancer mais parfois il faut bien se salir les mains…J’ai l’impression que des gens sont couvés, protégés et que vous jouez à un jeu entre vous dans le plus grand secret…Oh d’ailleurs j’ai l’exemple parfait à ce sujet. Je présume que vous connaissez Aahron Donnelly et ses trois frangins ? Depuis qu’ils sont là, j’ai l’impression que les emmerdes se sont multipliées et tout ce que je vois, c’est qu’ils sont couvés ! On passe à tabac un mec à la sortie de mon bar et il ne se passe absolument rien et là on me cherche des noises pour quelques coups de klaxons ?! Et ne faîtes pas le type qui n’est pas au courant, qui ne l’est pas dans le village ?!...Mais, il n’y a pas que ça qui me fait tiquer…Vos forces de police sont tellement pathétiques que cette histoire d’empoisonnement va être classée sans suite…Ou est ce qu’on essaye de couvrir une tentative foirée ?!»

Le tenant du bar du drugstore prit une bonne inspiration et se mit à frotter nerveusement son menton à l’aide de son pouce et de son index. Il posa ensuite ses pieds, en les croisant, sur le coin du bureau du maire. L’addition allait être salée mais Calvin n’avait pas fait le détour pour passer pour l’abruti du village. Il pointa tout à coup du doigt l’élu du village, le sourire ayant complètement disparu de son visage et les yeux ancrés dans les siens.

«Vous êtes un pauvre type !…vous et vos probables acolytes, je sais pas…le Shérif Spelling, l’inspectrice Sallander, les Donnelly, Nathaniel Redd et sa charmante femme…ça ressemble à l’équipe de rêve sur le papier!…Mais, vous croyez sincèrement que je vais me calmer en me ramassant deux ou trois prunes ? C’est comme ça qu’on porte ses couilles chez les Ferguson pour dire à quelqu’un de fermer sa gueule ?! Ca me semble probable parce que..de ce que je vois…c’est votre femme qui fait l’homme chez vous…elle est dehors et ratisse la bouse avec ses petits bras tandis que vous vous planquez ici…Oh d’ailleurs je ferais peut être mieux de m’adresser directement à elle pour avoir plus de précisions? c’est peut être elle qui chapeaute tout en fait ? Ca lui ferait surement plaisir de voir à quoi ressemble un homme plutôt qu’un dépendant à la pilule bleue ?!»

Calvin se redressa tout à coup tandis que le sourire goguenard se dessinait progressivement et finement autour de ses lèvres, de nouveau.

« Vous avez raison Calvin, je ne vous aime pas »

« Et si vous voulez jouer au jeu de celui qui en a la plus grosse paire, ça sera sans moi, et surtout sans ma femme »

« Et même si je n’ai absolument aucune raison de me justifier au près de vous, je vais tout de même prendre la peine de vous rappelez que s’il n’y a pas de plainte, il n’y a pas d’enquête. Les Donnelly n’ont pas porté plainte suite aux accusations d’empoisonnement, et les Redd n’ont pas non plus portés plainte après les mésaventures de Logan. Par contre ! Votre performance au klaxon en a dérangé plus d’un, et l’une de ces personnes à donc porté plainte. L’explication est aussi simple que ça… »

« Autre chose à ajouter ? ... après tout, pendant qu'on y est... »

Calvin se rendait compte qu’il commençait à taper à des endroits sensibles. Il découvrait au fil des minutes, un William de plus en plus agacé mais qui parvenait à ne pas entrer dans le jeu malsain du barman. Au vu de la nouvelle expression présente sur le visage du maire, il était évident qu’il semblait sur la défensive. Il tenta tout de même de lui débiter une explication sur les évènements évoqués par le barman. Cependant, ce dernier afficha instantanément un rictus de dédain caractéristique sur son visage, signe qu’il ne le croyait en aucune façon.

«Alors ? C’est tout ?!...William, William, William…vous me décevez et en même temps, vous me donnez quelques réponses…Je suis déçu que vous me preniez pour un idiot. Les Donnelly et les Redd n’ont peut être aucun intérêt à régler leurs conflits de cette manière ?»

Question sans réponse…pour le moment. Le tenant du bar du drugstore passa nerveusement sa main dans ses cheveux avant de croiser les bras tout en affichant, encore et toujours, ce sourire narquois. Le calme avant la tempête. Calvin avait la conviction que quelque chose ne tournait pas rond dans cette ville, que quelqu’un ou un groupe de personnes tiraient les ficelles dans l’ombre. Et au vu de la répartie du maire, il constata sur le coup qu’il ne faisait surement pas partie des têtes pensantes de ce groupe…

«Tout ça n’est pas vraiment étonnant. Je me demande tout de même comment vous avez réussi à devenir le maire de Grayson avec un tel charisme...Dans ce groupe d’illuminés, vous devez donc avoir la place de la marionnette, de l’impuissant, pas vrai huh ? ….Vous êtes la traînée souillée du malin qui est derrière tout ça ! »

Ce n’était pas vraiment une question à vrai dire. Grâce à son trop plein d’énergie, son égo surdimensionné et sa détermination, Il employait une violence psychologique qui pouvait être dévastatrice. Avec un aplomb incroyable, il reprit sur le même ton.

«Allez, regardez-moi de haut mais sachez qu’un jour ou l’autre, tout se saura, j’en suis persuadé. Vous devrez vous excuser devant les habitants de Grayson que vous manipulez. Ce jour là, on saura que vous avez passé votre temps à mentir et on ne fera pas la différence si quelqu’un vous menotte les parties ou…si vous les laissez dans la poche ventrale de la belette qui se traîne dans les champs à côté et qui vous sert accessoirement de femme ! »

Calvin se releva ensuite, prêt à s’en aller, ses yeux fixant le maire tel un prédateur prêt à fondre sur sa proie. Puis, le barman dressa fièrement le majeur de sa main gauche et l’exhiba devant William.

«Et ouais, j’ai autre chose à ajouter ! Mettez ça sur ma note l’élu politique de mes deux!»

« Je pense que votre note est déjà bien assez salée comme ça Calvin, rasseyez-vous, par pitié calmez-vous et comportez-vous en être humain pour changer. Et surtout, expliquez-moi un peu de quel… ‘groupe d’illuminés’ vous parlez. Tirer les ficelles de quoi exactement ? Et quel est le rapport avec les Donnelly et vos amendes ? J’aimerai au moins comprendre de quoi je suis accusé exactement »

La réserve impressionnante du maire de Grayson surprenait le barman. Elle en devint presque incroyable lorsque Calvin en rajouta une couche. Il se maîtrisait avec une certaine aisance. Cela se voyait plutôt bien. Finalement, ce bon vieux William avait peut être quelque chose pour lui qui pouvait lui servir dans son boulot de tous les jours.

Calvin se contenta de soupirer, scrutant son interlocuteur dans les yeux. Il lui proposait de discuter tranquillement de ce qui agaçait le tenant du bar. Quelques instants plus tôt, William tenta de le renvoyer d’où il venait le plus diplomatiquement possible en s’attardant guère sur ce qu’il pouvait raconter. Ce genre de détail n’échappa pas au barman qui s’accorda quelques instants de réflexion. Ses yeux naviguèrent jusqu’au fauteuil dans lequel il s’était confortablement installé quelques instants plus tôt avant de revenir fixer le maire. Son air sérieux disparut de nouveau puis il reprit la parole avec un certain flegme.

«Non, je suis très bien debout. Votre fauteuil craint, il y a comme un petit cratère…on dirait qu’il a accueilli tous les gras du cul de la région !»

Il fit mine de dessiner le périmètre du renfoncement sur le siège à l’aide de son index avant de reprendre, toujours aussi sarcastique et moqueur.

«Hm, je dirais que Aarhon Donnelly est surement passé par là…»

Ce n’était pas simplement par pur esprit de contradiction. Il n’appréciait pas William et savait qu’il était mêlé à quelque chose qu’il tentait de pointer du doigt. Seulement, Calvin était loin d’effleurer la vérité. Pour un type aussi cartésien que lui, tout avait une explication logique, quantifiable, mesurable…bref quelque chose de concret. Le barman croisa les bras et décida de se lancer après avoir expiré profondément.

«Très bien vu que vous faîtes semblant d’être mou du cigare en plus d’être mou du gland, je vais reprendre plus simplement. J’habite à Grayson depuis quoi….une quinzaine d’années au moins. Et je n’ai jamais vu un étranger venir ici, remuer le village et provoquer des incidents ! Je parle de tout ce qui s’est passé cet été…C’est marrant parce que quand je suis arrivé dans le coin pour bosser, tout le monde me regardait du coin de l’oeil comme l’étranger venant de la ville qui devait s’adapter à Grayson et pas l’inverse ! Petit à petit, je me suis fait ma place et on ne m’a fait aucun cadeau ! D’ailleurs aujourd’hui encore pour trois coups de klaxons ! Et là, une bande de frangins débarquent et on les laisse faire ce qu’ils veulent ! Aucune plainte n’a été déposée mais vous, votre shérif et l’inspectrice de Gower faîtes clairement amis-amis avec eux…Alors je ne sais pas si il s’agit d’argent ou de quelque chose d’autre…mais ça me fout la gerbe ! Vous laissez couler les incidents comme ça et ça va devenir très vite l’anarchie dans votre ville. Déjà que j’ai du mal à blairer Nathaniel Redd…Regardez entre l’empoisonnement, le passage à tabac et j’en passe ! En plus de ça, l’un de ces daltons peroxydés a voulu se la jouer moralisateur dans mon bar il y a peu de temps ! Sachez qu’il suffit d’un rien, d’une étincelle pour que j’entre en jeu et croyez moi, la ce sera trop tard…»

Petit à petit, Calvin reprit sa respiration. Il n’avait peut être pas été aussi clair qu’il l’aurait espéré mais William n’était pas idiot non plus. Enfin pas trop pour saisir tout de même le message qu’il voulait transmettre.

« Th, écoutez, il me semble que vous n’avez pas l’air d’un imbécile malgré tous les efforts que vous fournissez pour ça »

« Vous voulez savoir pourquoi toutes ces histoires sont classées sans suite ? Parce que ça serait leur donner exactement ce qu’ils veulent Calvin : de l’attention »

« On est au beau milieu d’une petite vendetta familiale en bonne et due forme, je pense que vous l’avez compris. Les Redd et les Donnelly passent leur temps à se taper dessus, et c’est déjà bien assez difficile d’arrêter cette guéguerre ridicule sans qu’en plus la justice s’en mêle ! Si chaque échauffourée entre ces deux clans termine devant un tribunal on n’en sortira plus »

« Surtout que les Redd ne sont pas coupables de la morts des parents Donnelly »

Calvin ne pouvait que remarquer à quel point William semblait au pied du mur, contrarié…et très probablement coincé. Ses attaques agressives et incessantes, qui ne parvenaient décidément pas à le faire sortir de ses gonds, n’en étaient pas l’unique raison. Pour le tenant du bar, il était évident que le maire était mêlé à quelque chose d’autre. L’attitude pathétique de William égayait et confirmait cette théorie, improbable pour bon nombre de personnes à Grayson et dans les environs. A moins que ceux-ci ignoraient la vérité volontairement.

C’est alors qu’il se rendit compte qu’il lui était inutile de s’en prendre aussi personnellement au maire de Grayson, pour le moment, même si il faisait partie intégrante de cette histoire de conspiration un peu folle au début mais qui paraissait de plus en plus réelle. Surtout après les quelques concessions que venait de faire William Ferguson. Celles-ci agacèrent le tenant du bar qui afficha aussitôt un rictus de dédain sur son visage. Calvin expira profondément puis se gratta nerveusement la tempe gauche, tout en gardant le même sourire sournois au coin des lèvres.

«Okay! …je vois un peu plus clair…mais s’il vous plaît, arrêtez de sauter des chapitres Fergi’....bientôt vous serez la victime des Donnelly et des Redd, ne faîtes pas comme si vous n’avez rien à voir avec tout ça ! »

Calvin prit le temps de repenser en l’espace de quelques secondes à ce que venait de lui raconter William. Il reprit sans plus attendre.

«Alors....si je comprends bien....les Donnelly et les Redd sont libres de faire ce qu’ils veulent entre eux à Grayson….Ca ne me surprend pas de la part d’un eunuque comme vous….Mais, je vais tout de même vous poser une question….»

Apparemment vexé, du moins au vu de l’expression dédaigneuse sur son visage, Calvin vint prendre appui sur le montant du fauteuil à l’aide de ses deux mains tout en fixant son interlocuteur dans les yeux.

«Vous avez raison, je suis surement un sale con qui se mêle de ce qui ne le regarde pas pour un tas de personnes dont vous probablement…je suis surement quelqu’un de différent par rapport au Graysonien moyen, un loser qui n’a ni famille ni véritable ami surement parce qu’il est ce qu’il est et aime la vérité…Et je suis peut être qu’un bouseux aux yeux de l’inspectrice Sallander parce que j’aime vivre dans un petit patelin de campagne ou parce que je porte des vêtements trop ‘casual’ à ses yeux j’en sais rien…»

Calvin inspira profondément. Le ton de sa voix était plus doux qu’à l’accoutumée. Mais ça allait changer dans les secondes à venir…le naturel revenait toujours au galop.

«…Mais, merde ! je voudrais savoir en quoi ça fait de moi un type inférieur ! Vous les placez sur un piédestal au dessus de la justice !...et de ce que je sais, ce ne sont pas des anges non plus ! …Vous leur donnez le pouvoir de faire ce qu’ils veulent!... par exemple de s’entretuer tandis…que je n’ai pas le droit d’utiliser mon klaxon !...C'est sûr que j'abuse à côté d'eux !... Mais, dîtes moi ce que je dois faire pour avoir ce droit moi aussi ! Est-ce que je dois enquêter sur la mort de quelqu’un ?! Me faire une teinture blonde ?! Est-ce que je dois devenir garagiste ?! Vous saisissez le putain de message que j’essaye de vous transmettre ?!» finit il un brin sarcastique avec son exemple, en élargissant son sourire agaçant.

«...Et qu’est ce que je dois faire si j’ai un problème avec eux même si c’est déjà le cas ?! Je dois m’écraser ?! Je dois me comporter comme la trainée que vous êtes vis-à-vis d’eux et me laisser faire?! Vous êtes juste un irresponsable qui va provoquer un bordel monstre!...mais allez y ! continuez !...Et même si ça me met en cabane quelques jours pour agression…juste parce que je me considère comme leur égal au moins et que à la différence de vous, je porte mes valoches !... Et bien, je me ferais un plaisir de remplacer la machine judiciaire et de leur botter le cul un par un !...Et si vous essayez de m’en dissuader, ‘Fergi’, la seule réponse que vous aurez de ma part sera un putain de ‘kick’ dans la mâchoire !»

Ses yeux fixaient le maire de Grayson avec intensité et ses joues étaient légèrement rougies après cette tirade agressive qui venait de faire réagir son trop plein d’orgueil.

« Oh ça je confirme Calvin, vous les portez bel et bien vos ‘valoches’. Vous les portez même en collier. Et vous êtes un sacré bavard qui plus est ! »

« Je ne sais pas exactement ce qu’il en est pour vous, mais pour moi, plus un homme fait du bruit, plus il a de chose à prouver, et plus il réclame l’approbation. Rien de très viril en somme. Si c’est ça que vous êtes venu chercher chez moi mon vieux, vous pouvez laisser tomber ! Et laissez tomber par la même occasion vos airs de cow boy. Vous vous croyez malin, mais pour me prendre à défaut il va falloir être un tout petit peu plus malin que ça, c’est compris ? Je vois bien ce que vous êtes en train de faire, ça ne marche pas »

« Si vous n’êtes pas content de la manière dont je gère les conflits à Grayson, je vous rappel que les élections approches et que vous êtes libre de voter pour qui bon vous semble »

Ouh, quelle réaction ! Le maire de Grayson se réveilla enfin pour dire ce qu’il pensait au fond de lui. Amusé, le barman écoutait tout ce qu’il avait à lui dire. Sans surprise, William s’était contenté de l’envoyer dans les roses, de ne pas prendre en compte ce qu’il voulait dire. Calvin n’était pas jaloux des Donnelly ou des Redd. Ou peut être que si dans un sens à force d’être déconsidéré, de ne pas être pris au sérieux, de se sentir aussi marginal dans ce village où les habitants avaient une logique tellement étrange que cela dépassait l’entendement. Bref, il se sentait incompris malgré tous ses efforts.

William lui avait demandé de raconter tout ce qu’il avait en tête et maintenant il lui faisait comprendre qu’il parlait trop, qu’il en faisait trop. Hm, c’était surement signe que Calvin tapait violemment sur ses nerfs maintenant et que ça devenait tout simplement insupportable pour un être humain normalement constitué. Indiscutablement, la tension était montée d’un cran dans le bureau du maire, d’autant plus lorsque Calvin repoussa la main de William qui venait à peine de se poser sur son épaule.

«Posez pas vos mains sur moi !!» réagit-il violemment tout en reculant d’un pas. Il ne l’appréciait en aucune façon…ce n’était pas étonnant de sa part.

Calvin bouillonnait de nervosité à cet instant mais prit quelques secondes de réflexion pour répondre une dernière fois à son interlocuteur. Sa main vint prendre appui sur le bureau tandis qu’il pointait l’index de son autre main en direction de William.

«…Peut être que oui, peut être que non…mais ce qui est sûr c’est qu’un homme qui se la boucle, surtout pour un politicard, doit avoir quelque chose à cacher et se fait pisser dessus !...En fait, maintenant , vous ne devez plus faire de différence entre la pluie et les déjections des Donnelly, huh ?!»

Il n’allait pas recevoir de leçon de vie de la part de cet impuissant pas capable d’assumer ses fonctions…Et cela quitte à dépasser les limites qu’il s’était fixé en arrivant ici. Il croyait peut être que tout cela n’était que du flan ? Qu’il se comportait ainsi pour se donner un style ?

«Et ce que je cherche à faire avec mes airs de ‘cow boy’….c’est éviter les éclaboussures ! Je ne cherche pas à vous prendre à défaut, je veux juste que vous fassiez ce que vous avez à faire mais que vous ne ferez pas ! »

Ce qui sortit ensuite de la bouche de William sonna comme une conclusion à cette discussion pour le maire, du moins aux yeux de Calvin. Oui, incontestablement, il n’aimait pas sa manière de gérer les conflits, de faire des différences, des préférences entre les individus. En repensant à tout cela au fond de lui, Calvin ne put s’empêcher d’attraper, à l’aide de sa main qui prenait à appui sur le bureau, l’agrafeuse métallique qui trainait juste à côté de lui. Ni une ni deux, il l’utilisa pour frapper aussitôt le visage du maire avec violence. Il le contempla accuser le coup tout en répliquant une dernière fois.

«Prenez ça pour mon vote anticipé pour le seul candidat qu’il y aura surement ! A défaut de trouver l’urne, j’ai trouvé son clac merde ! …’Asshole’…»

Le visage visiblement crispé et nerveux, Calvin lâcha l’agrafeuse qui retomba sèchement sur le sol. Puis, il fit volte face pour quitter les lieux, la tête haute tout en ayant l’impression d’être coincé entre ses convictions et le contexte de Grayson. En fait, sa visite n’avait servi à rien à part rendre sa situation on ne peut plus marginale. Et non, il ne faisait pas que parler. Après tout, même un chien aboie souvent avant de mordre…Peut être que maintenant, William allait le prendre un peu plus au sérieux...

La réaction de Calvin avait été typique et sans surprise. Il était arrivé sur ses grands chevaux, confiant de son bagou et de la force implacable de ses arguments. Pire encore, il était arrivé devant William en étant persuadé que son avis était important. Comme si Calvin avait la moindre idée de la manière dont il fallait gérer l’administration d’une ville. Et sa vanité n’avait eu d’égale que son agressivité bouillonnante et à fleur de peau. Un vrai volcan dont l’éruption était sans fin. Il n’avait jamais vu personne écouter tous les mots et en entendre si peu au final. C’était bien simple d’ailleurs, il n’entendait que lui-même, ne voyait que lui-même, et était tout bonnement incapable de ne pas avoir le dernier mot. C’était viscéral et William doutait que Calvin sache en réalité contrôler quoi que ce soit de ce tempérament acide et tempétueux qui était le sien.
Il était totalement dépourvu de ce qui faisait l’essence de son propre caractère : le sang froid.

D’ailleurs, il s’y était heurté comme on se heurtait à un mur de glace et ne l’avait visiblement pas supporté. Il avait certainement l’habitude qu’on se laisse avoir, qu’on se laisse atteindre par ses quolibets et ses moqueries aigres. Avec William, ce genre de choses ne fonctionnaient tout simplement plus. Pas après toute une vie d’entrainement à Grayson en tout cas. Même si intérieurement il se vexait, s’emportait, détestait et s’étouffait de haine, sur son visage, dans son comportement : rien. Il avait surtout apprit à dissimuler et à mentir dans ce village. C’était au moins là-dessus que Calvin ne se trompait pas… Mentir, c’était leur toute première spécialité, depuis des générations. Et le gérant du drugstore l’ignorait encore, mais il allait en faire les frais… au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs ! Lui qui s’invectivait d’avoir plusieurs amendes à payer qu’il trouvait injuste, qu’il attendre quelques jours et surveille bien son courrier surtout…

Le Maire de Grayson avait observé son visiteur importun s’éclipser tête haute après le coup qu’il lui avait mit en plein visage, sans s’émouvoir, ni même bouger de son siège. Inutile de dire qu’il avait à peine bronché lorsque l’agrafeuse avait heurté sa pommette. Là aussi, il lui fallait un rien plus pour lui porter atteinte.
Il laissa ses yeux bleus flotter sur la porte où avait déserté Calvin quelques instants, laissant une lueur de mépris y briller quelques instants. Tellement incapable de supporter qu’on lui résiste qu’il n’avait lui-même pas résisté et cédé à la violence. L’argument du pauvre d’esprit.

D’une main il vint tâter l’endroit meurtri par le coup et constata quelques vagues traces de sang sur ses doigts. D’un haussement de sourcil il laissa une exclamation lasse s’échapper de sa gorge, puis d’un soupir blasé, décrocha son téléphone et y pianota quelques chiffres.

Une sonnerie, puis une seconde, et déjà, la voix de Kathleen s’élevait à l’autre bout du fil.

« Miss Wood, c’est William, est-ce que Declan est disponible s’il vous plait ? C’est pour déposer une plainte, c’est relativement urgent …… oui merci, j’attends » la prévint-il avec politesse, rouvrant négligemment le dossier dans le quel Calvin l’avait interrompu…

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