03.2. Something gone awry [Allie, Donnellys & Trisha]

Bouche pâteuse et sèche, grande soif, crâne douloureux, chair de poule et nausées, vessie proche de déborder… Il n’y avait aucun doute possible, Aahron souffrait d’une bonne vieille gueule de bois. Ses paupières encore clauses, il poussa un lourd soupir et porta ses deux mains à son visage dans l’idée de frotter ses yeux encore alourdis de sommeil de ses paumes. Mais seul l’un de ses bras daigna atteindre sa cible alors que l’autre fut entravé par un poids qui le maintenait fermement collé au matelas.
Intrigué et la tête dans le gaz, Aahron tenta d’ouvrir prudemment un œil et réalisa de la pire façon que ce soit qu’il n’avait pas fermé le rideau en allant se coucher. La lumière crue du matin frappa directement son œil, réveillant la douleur lancinante de son crâne. Le marteau piqueur venait de passer à une vitesse supérieure le trentenaire laissa échapper un grognement animal.

Il sentit alors le poids sur son bras se déplacer et disparaître, laissant sa main toute engourdie. Les souvenirs de sa soirée de la veille lui revinrent alors comme un boomerang en pleine figure. L’alcool, le strip-tease, les réflexions désobligeantes d’Aidan sur Trisha et puis le rendez-vous clandestin dans les toilettes… Les images de leurs baiser fougueux qui avait bien failli tourner en partie de jambes en l’air dans les WC d’un café miteux l’assaillirent.
Heureusement, Aidan était entré et avait mis fin à leur bêtise. Parce qu’à cette heure (il ignorait laquelle) à la lumière des cruels rayons du soleil, ce qu’il avait fait avec Trisha lui apparaissait comme une grosse, grosse bêtise…
Mais le pire dans tout cela, c’était de ne pas savoir si cette nuit, ils avaient été plus loin.

Aahron se souvenait parfaitement d’avoir discuté avec elle longuement. Ils avaient parlé de Petey, évoqués quelques agréables souvenirs, plaisantés, s’était fait réprimander par une Allie furieuse qui avait débarqué sur les coup de 4h du matin pour leur dire de « la fermer par pitié ». Ils avaient gloussés comme des adolescents pris en faute et puis ils étaient restés face à face, leur visage appuyé sur leur main, accoudé au matelas des deux lits simples qu’ils avaient rapprochés pour la nuit. Aahron et Trisha étaient restés comme cela pendant un temps indéterminé et puis… Il avait dû s’endormir. Tout simplement.
Et dans le courant de la nuit, Trisha avait dû venir chercher un peu de chaleur ou une simple présence… alors elle était venue se lover contre lui en toute innocence.

Aahron rouvrit les yeux, les gardant à demi plissés pour se protéger des rayons un peu trop lumineux pour sa gueule de bois. Il aperçut alors le visage de son ex-femme qui émergeait lentement du sommeil et c’était redressé, les cheveux emmêlés et les yeux gonflés de fatigue. Elle essuya sa bouche du bout des doigts puis frotta ses yeux fatigués dans un soupir.
Elle avait sûrement l’air aussi paumé que lui et son crâne devait être au moins aussi douloureux. La jeune femme se laissa mollement retomber dans l’oreille habituellement utilisé par Aidan, passant ses deux mains dans sa tignasse blonde

Hey…

Hey

Je crois que j'ai jamais eu aussi soif.

A propos d'hier soir...

Je t'ai pas vraiment répondu, alors je vais le faire maintenant... David m'a lancé un ultimatum, et je pense l'avoir plus ou moins déjà dépassé maintenant. Ca faisait un mois que ça n'allait plus très bien entre nous, par ma faute, et... Enfin, rien n'est encore fait, mais je pense qu'une fois que je serais rentrée... on décidera probablement de se séparer.

Tu sais que ça prend du temps ces choses là, et j'aimerais ne pas rendre les choses plus difficiles pour David, alors ce serait bien que Petey ne sache rien pour nous deux pour l'instant. Enfin, si tu veux toujours qu'on reprenne les choses où on les avait laissées, bien entendu.

Le petit rire qu’Aahron avait laissé échapper en constatant que Trisha souffrait au moins autant que lui de leur beuverie se fit vite oublié… La suite du discours de son ex-femme fut ne lui donnait plus du tout envie de sourire.
Il s’était déjà imaginé face à une telle situation dans ses rêves les plus fous. Trisha lui annonçant qu’elle et David se séparaient et qu’elle revenait vivre avec lui ou son avocate d’ex lui annonçant que David l’avait trompée et qu’elle revenait vers lui. Il avait tout envisagé et s’était toujours dit que, même s’il devait être humilié par les circonstances, il reprendrait Trisha. Parce qu’il l’aimait, tout simplement.
Mais en l’occurrence, maintenant qu’elle venait de lui confier le poids qu’elle portait sur ses épaules depuis il ne savait quand, son regard affreusement triste plongé dans le sien, il n’eut aucune envie de se réjouir du malheur de David. Ni de la détresse de la blonde qui paraissait le fixer dans l’attente d’un châtiment, d’un éclat de rire mauvais ou d’un : bien fait, tu vois ce que c’est maintenant !

Sous le choc, il ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt et recommencer deux ou trois fois, sans parvenir à trouver les mots adéquats. Qu’est-ce qu’il pouvait décemment répondre à cela ? Qu’était-on censé dire, faire quand la personne que vous estimiez le plus au monde vous faisait de telles confidences ?

Aahron n’hésita pas trop longtemps cela dit. Alors que les yeux fatigués de Trisha commençaient à s’embuer de larmes de détresse, le trentenaire se redressa dans le lit et se rapprocha d’elle, l’incitant à se redresser un peu pour l’enlacer. Elle passa ses bras fins autour de sa taille et appuya sa tête contre son torse alors qu’il appuyait délicatement son menton sur le haut de son crâne blond.
Il n’y avait absolument rien à dire au fond. Ou peut-être un :

Je suis là

Il berça vaguement Trisha, comme il l’aurait fait avec son fils ou Aidan après un mauvais rêve. Il se sentait bien malgré la culpabilité qui tentait de le rappeler à l’ordre. Il aurait voulu rester comme ça jusqu’à la fin de ses jours ou presque, calé dans un lit plus au moins confortable, le corps chaud de Trisha contre le sien, ses bras passé autour d’elle et elle de lui. Il pouvait sentir son souffle sur sa peau nue et bronzée par le soleil étouffant de ce mois de juillet. Le seul bémol, c’était les reniflements qu’il percevait, signe qu’elle pleurait discrètement.
Son mal de crâne était presque oublié dans ces conditions.

Après une poignée de secondes encore, il déposa un baiser bruyant sur le sommet de son crâne puis l’écarta un peu pour plonger son regard dans le sien, l’obligeant à relever la tête vers lui en glissant un doigt sous son menton.
Ils s’observèrent quelques instants et cette fois, ce fut Aahron qui prit l’initiative devenir embrasser délicatement les lèvres de Trisha. Juste à la commissure pour ne pas se montrer trop entreprenant. Pour ne pas risquer de la brusquer.
Mais il n’avait pas pu s’empêcher de l’embrasser en la voyant dans un tel état. Il la connaissait assez pour savoir que, de toute façon, elle en avait autant besoin que lui, au fond.

C’était tout à fait étrange. Etrange et perturbant d’entendre les voix de ses frères à l’intérieur de sa tête alors qu’il embrassait Trisha avec l’empressement de l’adolescent pendant son premier rapport. L’adolescent qui sait que ses parents ou ceux de sa partenaire vont rentrer dans quelques temps et qu’ils doivent faire vite.
Les parents d’Aahron n’allaient malheureusement pas revenir et il y avait peu de chance que ceux de Trisha débarquent… Mais elle pouvait tout à fait se rétracter, retrouver la raison et se redresser en lui disant qu’elle ne pouvait pas faire ça. Pas à David qu’elle aimait finalement encore. Pas à Petey qui pourrait en souffrir et être perturbé par tous ces bouleversements.
Ou alors, c’était lui qui allait soudain se rendre compte qu’il était en train de ruiner l’équilibre de sa femme et tout arrêter. Lui qui allait suivre la voix d’Aidan qui lui criait d’arrêter immédiatement ses conneries avant qu’il ne soit trop tard, nom de Dieu !
Isaac paraissait partagé et lui sortait tout un tas d’ineptie sur le bien et le mal, sur l’adultère, tout en lui rappelant qu’il ne souhaitait que son bonheur et qu’il savait qu’il le trouverait dans les bras de Trisha. Le médecin lui conseillait cela dit de protéger son cœur d’une future déception et… de se protéger tout court. Qui pouvait savoir ou David avait été trainer et ce qu’il avait pu refiler à Trisha.
Et puis enfin, il y avait Samuel. Samuel qui lui disait de foncer, de le rendre fier et lui conseillait des positions exotiques.

Ces trois voix s’élevaient dans sa tête et il s’acharnait à ne pas les écouter, à ne pas s’écouter lui-même et à se vider l’esprit pour être concentré sur ce qu’il faisait. Pour le moment, lui et Trisha étaient un peu brouillon, trop pressés, exaltés. Et en même temps, ils payaient encore le prix des verres qu’ils s’étaient enfilés la veille et la note était plutôt salée et rappelait à Aahron qu’il n’avait plus vingt ans.

Débarrassé de son vêtement, il se redressa un peu, soulevant Trisha pour l’installer d’une manière plus confortable pour lui et déposer quelques baiser dévorant sur sa peau diablement douce et encore parfumée malgré leur nuit. Il savourait chaque parcelle. Il la redécouvrait avec ses lèvres, ses mains, avec l’entierté de son corps. Il connaissait l’emplacement de chaque grain de beauté, savait où la toucher, mais il y avait ces petits changements qui s’étaient opéré sur son corps, une nouvelle cicatrice qu’il n’avait jamais eu l’occasion de caresser, ces petites rondeurs nouvelles dont il ne lui parlerait évidemment pas mais qui la rendait terriblement excitante.
Elle lui appartenait de nouveau et il voulait marquer chaque centimètre de son corps, y redéposer son odeur. Il voulait qu’elle soit à elle, entièrement. Il avait sans doute déjà obtenu son cœur, il lui fallait dompter une nouvelle fois son corps.

Aahron la débarrassa rapidement de son débardeur pour la saisir tant bien que mal et la faire basculer pour que les rôles soient inversés et qu’il se retrouve en position de dominant. Les draps avaient été bouchonnés dans un coin pendant leurs ébats et ils se trouvaient à présent sur le lit de Samuel. Il allait être ravi, c’était certain. Sa voix s’éleva d’ailleurs dans la tête d’Aahron pour lui signaler qu’il abusait tout de même, et un sourire amusé apparut sur ses lèvres.
Il chercha à le lui dissimuler en abandonnant ses lèvres pour embrasser sa poitrine, descendant toujours plus bas. Le territoire à reconquérir était immense, mais ils avaient tout leur temps…

Ne pas réfléchir. Surtout, ne pas se laisser aller à penser à ce qu’ils faisaient. Voir Trisha ôter son alliance lui avait mis un sacré coup et il avait bien vu qu’il en allait de même pour son ex-femme. Pour le moment, c’était encore de cette manière qu’il devait l’appeler, elle n’était pas officiellement sa femme. Plus officiellement.
Il était perdu. Il ne savait plus vraiment ce qu’ils étaient. Des amants, les parents d’un petit garçon adorable à qui il allait devoir mentir pour le préserver. Il lui faudrait également mentir à ses frères. Le devait-il vraiment ? Aahron ne craignait pas vraiment leurs réactions par rapport à tout cela pour la simple et bonne raison qu’i aimait Trisha, inconditionnellement et qu’à ses côtés, il était prêt à essuyer toutes les critiques. La question restant bien sûr : n’allait-elle aps encore changer d’avis ?
Elle l’aimait, elle ne l’aimait plus, elle n’était plus certaine, elle l’aimait, mais il fallait qu’elle reste près de David, qu’il attende… Et puis elle ôtait l’alliance symbolisant son union avec son avocat de mari pour lui. Elle l’avait déposée sur la table de chevet comme un vulgaire accessoire un peu trop encombrant pour ce qu’ils s’apprêtaient à faire, ce qu’ils étaient déjà en train de faire.
Il s’était sentit honteux, coupable, cruel. Et en même temps, il s’était dit que els choses revenaient enfin à la normale.
Pour faire simple : il était complètement perdu.
Trisha pour sa part, avait l’air sûre de ce qu’elle voulait pour le moment. Elle le voulait lui. Rien qu’à elle, et en elle.
Et il en avait envie aussi, bien entendu… C’était là tout le problème, et c’était en même temps la solution. C’était une évidence.

Alors Aahron laissa tous ses états d’âme de côtés pour reprendre ce qui lui revenait de droit : le corps offert de Trisha. Il l’entendit laisser échapper un petit soupir contenté. Contenté ou soulagé, il n’aurait su le dire, et s’en moquait.
Aahron termina de déshabiller la blonde étendue sous lui avec fébrilité. Elle se souleva pour faire glisser le vêtement plus facilement et un sourire coquin apparu sur le visage du trentenaire qui disparu bientôt entre les cuisses de la blonde. Dieu ce qu’elle lui avait manqué ! Ce que tout ça lui avait manqué !

Lorsqu’il revint vers son visage, elle le débarrassa rapidement de son boxer usé et ils passèrent à l’étape supérieure de manière encore un peu brouillonne. Ils voulaient aller vite, ils voulaient savourer, ils voulaient se retrouver, ils étaient effrayés et au comble de l’excitation. Aahron n’était pas certain d’avoir déjà été aussi excité par le contact du corps nu de Trisha contre le sien, même lors de leur première fois.
Son cœur lui donnait l’impression de vouloir bondir hors de sa poitrine et ses bras sur lequel il s’appuyait pour ne pas écraser sa compagne tremblaient. Et ce n’était pas uniquement dû à l’effort qu’il produisait. Il tremblait de désir.

Le grand blond enfoui son visage dans le cou de sa partenaire pour y déposer quelques baisers humides, le souffle un peu court, il accéléra encore un peu ses mouvements, les accordant sans mal à ceux de Trisha. C’était la chose la plus naturelle du monde. Samuel était d’accord avec lui, Isaac aussi. Seul Aidan bougonnait dans son coin et ne voulait pas voir cela.
Aahron accéléra encore le mouvement, sa respiration de plus en plus haletante s’harmonisant au souffle chaud de la blonde qui laissa échapper un petit couinement qu’elle tenta d’étouffer en se mordillant la lèvre en se cambrant sous lui.

Quelque part à l’étage, une porte s’ouvrit.

Je t'aime.

Je crois que quelqu'un s'est levé entre temps. J'espère qu'on a été assez discrets...

Si Aidan nous a entendu, je ne donne pas cher de notre peau.

Je suis heureuse qu'on se soit enfin retrouvés. Excuse-moi de ne pas avoir su plus tôt.

Tu devrais peut-être t'habiller aussi, à moins que tu comptes descendre comme ça.

Je vais faire un rapide tour à la salle de bain pendant que tu fais ça.

Aahron avait été incapable de répondre quoi que ce soit quand elle lui avait susurré un « je t’aime » encore un peu essoufflé. C’était trop étrange. Trop soudain pour qu’il y croit vraiment. Mesurait-elle vraiment la portée de ce genre de paroles sur lui ? Se rendait-elle compte du jeu dangereux auquel elle jouait alors qu’elle était encore mariée à David ? Le trentenaire n’en était pas tout à fait certain mais en voulait pas faire d’histoire ou la ramener à la réalité. Il était lui-même encore grisé par leurs ébats et avait l’impression agréable de flotter sur un petit nuage cotonneux et confortable.
Bien plus que l’était en réalité le petit lit simple de Samuel sur lequel il était toujours installé, entièrement nu.

Il fronça simplement les sourcils d’un air vaguement intéressé quand elle lui signala que quelqu’un s’était levé et qu’on les avait possiblement entendus. Finalement, Aahron se moquait que ses frères découvrent la vérité. Isaac n’approuverait certainement pas et se mettrait à la place de David, mais une part de lui serait heureux que son frère le soit. Il en était persuadé. Et de toute façon, ça lui était égal. Tout lui était égal ce matin. Même la mauvaise humeur d’Aidan ne pourrait pas l’affecter pour le moment.
Trisha était à ses côtés. Réellement à ses côtés…
Enfin présentement, elle s’éclipsait dans la salle de bain après un étalage de chair tout à fait sensationnel, mais sentimentalement, elle lui appartenait.

Aahron resta un moment encore dans le lit, son regard délavé déviant en direction de l’unique fenêtre de la pièce tout en longueur où il se trouvait. Il poussa un soupir contenté et se prélassa encore un moment dans les oreillers, s’imprégnant de l’odeur de son amante qui flottait encore dans l’air. Finalement, il daigna enfin se lever et se dirigea vers la commode dans laquelle les garçons lui avaient cédé un tiroir.
Il enfila un caleçon propre, un bermuda kaki et une chemise à carreaux qu’il laissa ouverte. La chaleur était déjà étouffante… Quelle heure pouvait-il bien être ? Midi ? Son estomac se mit à grogner, comme pour valider sa supposition.

Une fois prêt, Aaron se rendit au rez-de-chaussée, tendant l’oreille pour entendre l’eau couler dans la salle de bain, un sourire satisfait aux lèvres. Il ne chercha pas à le faire disparaître, quitte à paraître louche aux yeux du restant de la fratrie.
Une fois au bas de l’escalier, il entendit du bruit dans la cuisine mais ne s’y dirigea pas immédiatement, préférant jeter un œil au salon où il avait couché Aidan. La couverture qu’il avait déposée sur son corps frêle la veille était par terre, en boule. Son frère s’était visiblement déjà levé. Aahron fit voyager son regard dans la pièce et ne tarda pas à le repérer, près de la baie vitrée de la salle à manger qui menait au jardin.
Son frère avait le front appuyé sur le verre, ses deux mains encadrant sa tête blonde.

Bien dormi ?

Après un moment, Aahron hocha la tête d’un air mi-amusé, mi-réprobateur, avant de se détourner pour rejoindre Allie et Isaac qu’il entendait dans la cuisine.

Voilà c’qui arrive quand on boit sans en avoir le droit !

En quelques pas, il atteignit la cuisine et son sourire s’élargit encore. Isaac était assis à la petite table de la cuisine, avachi sur celle-ci. Allie, elle, s’activait devant les fourneaux pour s’essayer à préparer des œufs brouillés.

Salut !

Aahron vint déposer quelques tapes compatissantes sur son épaule avant d’ébouriffer ses cheveux et de se retourner vers Allie pour faire quelque chose qu’il n’avait encore jamais fait. Attrapant son coude doucement, il déposa un baiser fugace sur sa joue en guise de bonjour, la gratifiant d’un sourire.

Bien dormi ? Il n’a pas été trop malade ?

« Salut... »

« Vous l'avez fait !!! »

« Je te l'avais dit ! J'en étais sûre ! Alors c'est qui la pro ? Oui, c'est moi ! J'en étais certaine vu les petits regards et les mains baladeuses hier soir. Car oui... »

« … contrairement à vous j'étais super sobre et j'ai pu voir votre manège d'adolescent à deux ronds. Et n'essaie pas de me dire que j'invente tout, je le vois sur ton visage. C'est comme quand on nous demande ce qu'on fait tous les deux dans la salle de bain avec Isaac quand je prends ma douche. Il est pas en train de se raser comme on le répète tout le temps... enfin c'est évident qu'on s'envoit en l'air sous la douche ! »

« Enfin bref... c'était comment ? »

Les yeux d’Aahron étaient au moins aussi rond que la poêle devant Allie qui commençait à fumer sérieusement et dont le contenu grillait plus qu’il ne l’aurait dû…
Pourquoi est-ce qu’elle avait fait cela ? Pourquoi est-ce qu’il fallait toujours qu’elle se laisse emporter et casse les oreilles de tout le monde en hurlant au lieu de parler ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond exactement chez Allie ?
Scandalisé par son manque de discrétion, Aahron se tourna vers Isaac qu’il voulait prendre à témoin. Mais ce dernier, le teint pâle et les yeux cernés, se contentait de le fixer d’un air curieux, les sourcils froncés dans une expression entre la réprobation, l’admiration et la surprise. Il avait l’air de dire : nooon, t’as quand même pas fait ça, frangin…
Si il l’avait fait ! Et même s’il n’en avait pas vraiment honte, il ne voulait pas qu’Aidan l’apprenne comme cela. Il n’avait même pas voulu qu’Allie et Isaac le découvre de cette manière.
Et la dernière chose que voulait Trisha, c’était certainement d’être accueillie dans la cuisine ce matin par des regards lubriques et entendus et quelques tapes dans le dos accompagnées de félicitation. Dans le meilleur des cas bien entendu. C’était ave un coup de batte de baseball dans le dos qu’Aidan risquait de l’accueillir s’il apprenait la nouvelle…

Shhht !

Ne parle pas aussi fort, bordel ! Aidan est juste à côté ! Il va péter un plomb s’il entend ça ! T’as bien vu comment il était hier déjà !

Allie semblait très peu impressionnée par ses remontrance, et nullement gênée. Elle le regardait avec cette petite expression typiquement afro-américaine de dédain et il s’attendait à voir son index s’agiter sous son nez d’un instant à l’autre tandis qu’Allie ferait balancer sa tête de droite à gauche…
Ou à recevoir un coup de spatule. Les deux étaient envisageable.

Mais Aahron préféra reprendre la parole, se tournant vers Isaac, plus pour échapper au regard d’Allie que parce qu’il ressentait réellement le besoin de s’adresser à son frère.

C’est déjà assez compliqué comme ça, n’en rajoutez pas ! Et ne dîtes rien à Aidan ou Samuel ! N’en parlez pas non plus à Trisha, elle est assez mal à l’aise comme ça, c’est pas la peine d’en rajouter ! …Elle est encore mariée j’vous rappelle

L’expression de son cadet changea pour passer de la surprise à une sorte d’irritation mêlée de mépris. Clairement, il se rappelait que Trisha était mariée et s’apprêtait à lui demander si lui-même s’en souvenait…
Aahron préféra encore une fois enchainer, pour ne pas subir les reproches du couple, conscient de ne faire que s’enfoncer.

N’en faites pas toute une histoire, c’est juste… Faites pas chier ok ? Et tes œufs brûlent Allie !

Ayez l’air naturel !

C’était pourtant lui qui avait l’air le moins naturel du trio…

Bonjour tout le monde.

Rajoute un oeuf cru dessus, ça devrait les rattraper.

Tu leur as dis ?!

...Nuit d'enfer les gars !

M'en parle pas, j'veux mourir.

Elle est où la diva ?

Il devait bien l’avouer, Aahron était un peu agacé que Trisha ait l’air de lui en vouloir d’avoir moufeté. Ce n’était pas de sa faute à lui si Allie était une commère au nez fin ! Il avait fait son maximum pour le lui cacher (du moins tentait-il de s’en persuader) mais elle ‘lavait quand même percé à jour. Et pas que lui d’ailleurs puisqu’elle avait expliqué qu’elle avait vu leur manège à TOUS LES DEUX la veille. Donc il n’était pas le seul responsable et son ex-femme et amante était tout aussi fautive. De toute manière, il fallait être deux pour faire l’amour, non ? Pourquoi le réprimandait-elle de la sorte ?

Mais l’ainé des Donnelly ne fit aucun commentaire, se contentant de bouder dans son coin alors que Samuel faisait sa grande entrée et une diversion de choix. Il ne pouvait bien entendu pas le remercier pour cela et se contenta de lui adresser un regard encore un peu bougon qui passerait simplement pour le regard du type qui a mal au crâne.
Alors qu’il entamait une conversation plate avec Isaac, Aahron attrapa un paquet de céréales dans le placard et se retourna vers sa fratrie. Un silence était tombé sur la pièce alors que Samuel interrogeait du regard tous les occupant de la cuisine.
Allie, qui s’était installée près d’Isaac pour lui ôter sa fourchette des mains et l’obliger à se nourrir comme un enfant, haussa simplement les épaules. Isaac était trop occupé à empêcher la fourchette tenue par sa fiancée d’entrer dans son espace vitale pour répondre, et Trisha prenait un air très occupé devant la cafetière pour ne pas avoir à répondre.
Aahron se chargea donc d’éclairer les lanternes de son cadet.

Il communie avec la vitre dans la salle à manger. J’crois qu’il a pas encore décuvé

Après tout, Aidan n’était pas en âge de boire techniquement. Il savait que ce n’était pas sa première cuite, mais trouvait tout de même ça imprudent. Surtout dans son état…
Mais finalement, c’est l’amusement qui prit le dessus, et peut-être la rancœur aussi.

Hey, Sammy, qu’est-ce que tu dirais d’une partie de fléchettes/céréales avec Aidan ?

5 points pour le tronc, 10 points pour les membres inférieurs et supérieurs et 15 pour la tête !

20 points bonus si on l’fait pleurer mais 10 points en moins s’il nous cours après pour nous cogner ! Celui qui perd devra récurer la poêle qu’Allie vient de foutre en l’air et faire le petit déj pour tout le monde ! Deal ?

Deal ! T'es un génie mec. Isaac, tu viens ? Un peu d'exercice ça te fera pas de mal.

J'irais presque jusqu'à dire 50 points si on arrive à le toucher en les lançant avec la bouche.

L’une des qualités de Samuel était également un de ses grands défauts : c’était un suiveur. Il était toujours volontaire, même pour faire les choses les plus stupides. Il était toujours là pour un pari ou un défi idiot et dangereux, pour jouer un mauvais tour à un voisin aigri, venir en aide à un ami dans le besoin ou tyranniser son plus jeune frère avec ses ainés.
En d’autres circonstances, Isaac se serait certainement interposé et aurait tenté de les raisonner, mais il était trop occupé à cuver son alcool et à empêcher son foie de s’échapper par sa bouche ou… un autre orifice. C’était tant mieux au fond puisqu’Aahron avait vraiment besoin de s’occuper l’esprit et d’en chasser Trisha.
Plus tard, il aurait tout le temps de repenser à ce qu’ils avaient fait et aux conséquences que ça pourrait avoir sur leurs vies et celle de Petey. Pour el moment, il préférait se détendre un peu et fuir cette cuisine…

Il emboita donc le pas de son cadet jusqu’à la salle à manger où se trouvait Aidan. Ce dernier n’avait pas bougé depuis qu’il l’avait aperçu précédemment et était toujours planté devant la vitre.

Ca marche

Il se débarrassa du carton qui jeté négligemment vers le sofa et fourra sa main dans le sachet en plastique opaque pour en prendre une poignée. Il rendit le paquet à son frère et lui adressa un sourire goguenard avant de lui passer devant pour se mettre en place. Aahron prit son temps pour viser et, lorsque son bras se détendit enfin, il atteignit le dos d’Aidan.
Une fois encore, ce dernier ne broncha pas et n’esquissa aucun mouvement.

Tu crois qu’il s’est endormi sur la vitre ?

En tout cas, ça m’fait déjà 5points de plus que toi ! Et comme j’ai marqué, je peux rejouer

Samuel ouvrit la bouche pour protester mais Aahron le fit taire en levant sa main vide devant lui, l’air faussement menaçant. Il se remit en position et verrouilla sa cible, un œil clos pour faciliter sa visée. Mais alors qu’il allait tirer, il se fit bousculer sans ménagement et rata sa cible d’au moins 2 mètres.
Agacé et prêt à hurler sur son tricheur de frangin, il croisa le sourire moqueur d’Allie qui les avait rejoints. Elle les dépassa pour aller s’installer dans la salle à manger, non loin de là où se tenait toujours Aidan, suivie de près par Trisha qui tenait un plateau contenant plusieurs tasses de café. Isaac n’avait encore pas daigné de se lever visiblement.

Y a eu gêne ! Je r’comence !

C’est la règle ! Quand y a gêne on recommence Sammy ! Tu l’sais ! Tais-toi maintenant, je dois me concentrer

Prenant un air important, Aahron recommença son manège et le céréale cogna contre la vitre avant de rebondir sur le visage d’Aidan. Cette fois, il laissa échapper un long grognement, semblable à celui d’un animal.
Mais l’ainé ne s’en inquiéta pas vraiment.

Rebond ! Ça compte !

Mais personne ne semblait d’accord avec lui…

Sale tricheur ! Les règles ça se fixent avant de jouer, pas pendant le jeu.

Maintenant fais place au pro'

C'est comme ça qu'on fait. Ouais ouais ouais, vous pouvez m'encourager les filles, vous gênez pas surtout.

On rejoue quand on touche, c'est toi qui l'a dit !

T'es sûr qu'il respire ?

Le sourire d’Aahron était de plus en plus crispé. Ce petit jeu l’amusait toujours dans son principe mais dans la pratique, le jeu avait pris une autre tournure. Il se revoyait quelques années en arrière, à une soirée étudiante bien arrosée où ses amis de l’époque l’avaient trainé. Il avait fini par se détendre après quelques verres et avait proposé qu’ils griment le visage d’un de leur ami, assoupi. Il leur avait fallu un long moment pour réaliser qu’en réalité, ce dernier ne dormait pas vraiment mais était plongé dans un coma. Et soudain, le fait qu’il se soit uriné dessus et ne réagisse pas aux gifles qu’ils lui assénaient tour à tour pour « s’amuser » leur avait paru bien moins comique.
Le trentenaire se sentait de plus en plus idiot à mesure que les secondes s’égrenaient et qu’Aidan restait sans réaction. Et Samuel n’arrangea rien avec sa dernière réplique. Visiblement, lui aussi ne faisait plus que semblant de se distraire. Il avait d’ailleurs jeté l’intégralité de sa poignée de céréales en direction de leur cadet pour se débarrasser de toutes ses munitions et mettre un terme à son tour.
Ou alors ne voyait-il pas aussi loin. Peut-être qu’il avait juste voulu tester les limites de son jeune frère, le provoquer une ultime fois. Mais vu son expression, Aahron en doutait.
Les filles non plus ne paraissaient plus aussi diverties que précédemment. Il voyait même poindre un peu d’inquiétude dans le regard sombre et brillant d’Allie

Bah il a grogné tout à l’heure, non ?

Etait-il réellement possible de dormir debout ? Il avait vu ça dans des films de guerre. Des soldats tellement épuisés qu’ils s’assoupissaient sur place, dans des positions parfois saugrenues.
Mais Aidan se serait réveillé à force de les entendre parler et de recevoir des céréales sur la tronche. Il aurait forcément bougé…
Et un coma… Est-ce qu’il était possible de tomber dans le coma en étant debout ?
Il aurait voulu pouvoir poser ces questions à voix haute mais il aurait forcément eu l’air stupide et il n’en avait pas envie.

L’atmosphère de la pièce avait soudain changé et, depuis sa cuisine, Isaac avait dû le sentir. Aahron entendit son pas lourd dans son dos et, lorsqu’il se tourna vers lui, Isaac, adossé au chambranle de la porte arborait une expression vaguement intriguée, les sourcils froncés par une interrogation muette.
Le trentenaire se détourna et fixa son regard clair en direction d’Aidan.

Hey !

Il était mal à l’aise soudainement. Son mal de crâne se rappelait insidieusement à lui et il nota une légère accélération de son rythme cardiaque.

Aidan ! Tu dors ou quoi ? Tu t’sens bien ?

Mais ce n’était pas la bonne question. Ce n’était pas celle qu’il devait poser, il en avait la certitude, sans savoir comment.
Prenant sur lui, il se décida alors à formuler celle qui convenait mieux à la situation. Cella à laquelle, il en était certain, son petit frère répondrait.

Qu’est-ce qu'il y a dehors, Aidan ?

Elle veut jouer…

Elle est toute seule là-bas et elle n’aime pas ça du tout…

Aahron échangea un regard interloqué avec Samuel qui ne semblait pas savoir s’il devait rire ou s’inquiéter. Cela dit, en voyant l’expression inquiète du plus vieux des Donnelly, il opta pour la seconde option…

Qui ça ?

Il demande qui… Il demande, il demande

Soudain, le plat de sa main droite jusque là collée à la vitre la cogna, faisant sursauter Aahron et couiner Allie. il al vit immédiatement porter ses deux mains sur son entre rebondi.
A présent, plus personne n’avait envie de rire.

Il demande

Elle veut rentrer. Il faut qu’il aille me la chercher… Ou alors peut-être qu’elle pourrait… Oui, elle pourrait peut-être… Et alors tout le monde pourrait jouer

De quoi tu parles, Aidan ?

S’ils la ramènent, alors nous pourrions tous jouer ensemble !

Aahron fut pris d’un doute alors qu’il se tenait à un mètre d’Aidan, presque à portée de bras. Est-ce qu’il les faisait marcher ? Est-ce qu’il cherchait à se venger de Sam et lui ? C’était envisageable… Et rassurant.

Aidan, tu fais peur aux filles. Arrête maintenant, c’est pas drôle

Drôle… Si, bien sûr que si ! On va tous s’amuser ! Une partie de cache-cache comme l’autre fois ! Nous les avions tous trouvé un par un !

Mais son rire ne détendit pas son frère, bien au contraire. Il avait quelque chose d’inquiétant, de dérangeant. Il avait l’impression qu’il n’émanait pas vraiment d’Aidan. Il ne l’avait d’ailleurs jamais entendu rire de cette manière.
Et soudain, les mots de Petey lui revinrent en mémoire et son sang se glaça.

« J’te demande pardon. Je voulais pas l’faire mais il m’a obligé » pleurnicha Petey
« Qui ? Qui ça Petey !? »
« Le…le monsieur qui parle dans la bouche d’Aidan… Il me fait peur tu sais… Et il fait peur à Aidan aussi » expliqua-t-il avant de faire passer ses bras autour du cou de son père pour chuchoter la suite de ses paroles dans le creux de son oreille « Il est très méchant, papa… et il veut que vous partiez de sa maison… »

« Aidan STOP ! »

« Tu fais peur à tout le monde alors arrête ça maintenant ! »

« Isaac fait quelque chose ! "

Aahron se tourna vers Isaac et lui fit signe de rester là où il se trouvait, en compagnie d’Allie, près de Trisha. Le trentenaire ignorait pourquoi mais il était rassuré à l’idée de savoir que, si jamais Aidan décidait de s’en prendre à lui, il y aurait encore quelqu’un pour faire barrage.
C’était une idée complètement folle ! Il avait dû mal à croire qu’il était en train d’associer cette idée terrifiante avec son petit frère… Celui qui hier encore dansait et chantait des chansons d’amour stupide, un sourire pour pub de dentifrice aux lèvres. Il avait peur de lui à présent, de ses réactions, de ce qu’il pouvait encore dire...
Ils avaient tous peur.
Peur du gamin que ses frères et lui avaient tous les trois fait sauter sur leur genoux, à qui ils avaient mis des coups en douce parce qu’il avait mordu leurs jouets, bavé sur leurs dessins, à qui ils avaient été forcé de donner la main en ville, sur ordre de Margaret, qu’ils avaient consolés après un cauchemar quand il était encore un bambin…
Sauf que, près de 20 ans plus tard, ils devaient encore réconforter Aidan après un de ces étranges mauvais rêves qu’il faisait souvent.

Ce n’était pas la première fois que leur jeune frère « pétait les plombs », ils avaient assistés à des scènes pour le moins dérangeantes depuis qu’ils étaient arrivés à Grayson, mais ça n’avait jamais été aussi loin. Ses frères et lui avaient déjà été inquiets, mais plus souvent, le comportement du plus jeune les avaient agacés.
Là, Aahron ne ressentait aucune trace d’irritation en lui, simplement de la peur. Une peur qui lui nouait l’estomac, lui donnait la nausée, faisait battre son cœur à tout rompre.

Et pendant ce temps, Aidan continuait de rire. Mais son rire ressemblait plutôt à un grincement. Un grincement sinistre qui n’avait rien à voir avec le rire franc et communicatif de son petit frère.

Aahron se retourna vers lui après avoir échangé un regard entendu avec Isaac qui s’avança de quelques pas pour se placer devant sa fiancée et poser sa main sur l’épaule de Trisha. Cette dernière avait les yeux exorbités et paraissait ne pas vraiment croire ce qu’elle voyait. Tout ça était trop étrange pour qu’aucun d’eux puisse réellement réaliser ce qui était en train de se passer de toute manière.

Aidan… Dis-nous ce qui ne va pas

Pourquoi tu fais ça ?

Qu’est-ce qui n’va pas ? Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Parce que vous n’êtes que des fils de putain trop CURIEUX !

Voilà ce qui arrive quand on pose trop d’questions ! Quand on veut savoir POURQUOI ! Quand on veut savoir c’qui n’va pas !

Ca suffit maintenant ! Tu vas arrêter ce p’tit jeu tout de suite !

Sinon quoi, Aahron ?

Le trentenaire savait ce qui allait suivre et il voulut crier au petit blond de rester comme il était, exactement comme il était. Il allait se retourner et Aahron ne voulait pas voir son visage. Parce qu’il savait que ce qu’il verrait ne lui plairait pas. Il ne voulait pas voir.
Ce n’était pas la voix de son frère, ni sa façon de parler, agir comme ça n’était pas son genre. Il n’aurait pas son visage. Aidan n’aurait pas son visage habituel quand il se retournerait, son ainé en était persuadé.
Et il ne se trompa pas.

Au lieu de l’habituel regard bleu glacé qu’ils tenaient tous de leur mère, les pupilles d’Aidan étaient d’un noir d’encre et recouvraient la totalité de ses yeux.

Le temps que tu bouges, j’aurai déjà saignée la négresse et piétiné ses deux bâtardes

Dès qu’elle sera revenue, je vous saignerai tous… Et je commencerai par toi

Et soudain, alors qu’Aahron retenait son souffle et que son cœur manquait quelques battements, les yeux qui n’étaient pas vraiment ceux d’Aidan (qui ne pouvaient PAS être ceux d’Aidan) s’écarquillèrent. Sa bouche s’ouvrit et un sifflement étrange s’échappa de ses lèvres alors qu’il prenait une longue inspiration. La seconde suivante, les yeux si peu familiers du blondinet roulèrent dans leurs orbites et ses jambes cédèrent sous son poids. Aahron recula par reflexe alors que le corps de son frère basculait en avant pour atterrir durement sur les lattes du parquet usé.
Même étendu sur le sol, visiblement inconscient, son index continuait de pointer en direction de Samuel.

Aahron resta interdit, planté devant le corps immobile de l’adolescent, la respiration haletante. Son regard ahuri fut attirer par la flaque rougeâtre qui se formait peu à peu autour du halo de cheveux clairs… Du sang. Aidan perdait du sang.

Isaac ! Vient m’aider !

A présent agenouillé sur le sol, il fit prudemment rouler le corps d’Aidan sur le côté pour constater que son nez saignait abondamment. Mais au moins, ses yeux étaient fermés et il n’avait plus à observer son terrifiant regard ténébreux.

C’est l’alcool ?

Isaac, dis-moi que l’alcool peut provoquer ce genre de réaction…

Mais il en doutait.

Lorsque j'avais mollement quitté la chaise de la cuisine qui me soutenait si bien, je n'avais pas envisagé une seule seconde que le soucis pouvait être si considérable. J'avais bien senti que quelque chose ne tournait pas rond par les tons graves et inquiets qui avaient soudainement remplacés les rires et gloussements suite au petit jeu proposé par Aahron. Dans le salon, Sam et Aahron se regardaient sans trop savoir de quoi il retournait, et les filles paraissaient faire de même de leur côté. Aidan, quant à lui, était encore et toujours appuyé contre la vitre, immobile. Cependant, quand il ouvrit enfin la bouche pour manifester sa présence, une inquiétude encore plus intense s'empara de moi plutôt que le soulagement qu'on aurait tous dû ressentir à cet instant. Dans tous les visages s'installaient d'ailleurs une petite terreur incompréhensible. La voix d'Aidan ne sonnait pas comme d'habitude, pire encore, ce qu'il disait n'avait aucun sens.
Allie et Trisha se déplacèrent, l'une venant se réfugier contre moi, et l'autre se plaçant derrière à côté de Samuel. J'entourai ma fiancée d'un bras, autant à vrai dire pour la rassurer elle que moi-même. Je la retins tout de même un peu en arrière, tentant de placer mon corps de manière à pouvoir faire barrage du mien si tant est qu'une réelle menace existait.

Aahron m'ordonna de rester à ma place, et continuait de s'approcher le plus lentement possible afin de ne pas brusquer Aidan, ou ce qu'il restait de lui dans ce corps. Pourrait-ce être une sorte de crise de somnambulisme ? De la schizophrénie ? Jamais encore il n'avait manifesté de symptômes en ce sens... Je passai en revue tous les diagnostics possibles, mais aucun ne semblait correspondre à l'état de mon frère. Encore une fois, il proféra des insultes dans son charabia, et j'inspirai profondément alors que la scène m'en rappelai une autre. Cette voix, ces paroles... Elles étaient identiques à cette fois où je l'avais presque battu à mort dans un excès de rage. Je vis Sam serrer les poings, et s'avancer un peu. Je savais qu'il ne comptait pas intervenir par la violence, ou du moins pas de celle dont j'avais fait preuve pour ma part, mais je comprenais qu'il puisse se sentir maladivement impuissant face à la situation. Il laissait toute fois Aahron garder la main, et se tint près à bouger seulement si celui-ci était en difficulté.

De l'arrière du front, les filles étaient prostrées par la peur. Même Trisha s'était rapprochée de nous et serrait ses bras contre elle. J'eus un mouvement en avant lorsqu'Aidan menaça Allie et les jumelles, mais ma future femme me tint fermement le bras pour ne pas que je ne réagisse trop impulsivement. Elle avait dû le voir venir, mais comment ?
Je voyais bien qu'elle avait peur, mais elle avait à peine cette petite étincelle de surprise dans ses prunelles, comme si elle avait déjà vu cela. Aidan se retourna enfin, et ce que je vis me glaça le sang sur place. Ses yeux à lui étaient devenus d'un noir d'encre, comme personne n'en possédait sur terre. Cette morphologie était d'ailleurs impossible à obtenir... Il s'écroula sur le sol à peine quelques secondes plus tard, inerte et inconscient. Aahron se précipita pour lui porter secours, et m'appela cette fois à la rescousse. Je relâchai mon étreinte autour d'Allie et vins rapidement m'accroupir près du petit blond sans trop savoir cependant, si je pouvais le toucher, ou simplement comment étudier la situation. C'était comme si j'avais perdu toute notion de secourisme par le choc de la vision d'un Aidan... absent ?

Je... Je sais pas, Aahron !

m'exclamai-je alors que mon aîné pensait que j'avais toutes les réponses à ce phénomène. Mes mains en l'air au dessus du corps du plus jeune de la bande, j'hésitai à faire quelque chose, mais finis par prendre son pouls. Il était bon, bien qu'un peu plus faible que la normale.

Il est vivant, mais il va falloir l'emmener à l'hôpital.

Le médecin en moi reprit peu à peu le dessus, et je fis signe à Aahron de porter Aidan jusqu'à la voiture. Les filles s'activèrent pour rassembler quelques affaires à emporter, tout le monde paraissait vouloir faire quelque chose maintenant que la frayeur s'était estompée.

On a attendu bien trop longtemps, ça suffit maintenant ces conneries. Il va faire des tests de gré ou de force !

Ehm... Les yeux noirs, c'était pas normal hein ? Ça pourrait être une tumeur ou un truc comme ça ?

demanda Sam, alors que je m'apprêtai à me mettre derrière le volant.

J'arrêtai tous mes mouvements et me tournai vers lui, sans pour autant avoir une réponse bien claire à lui donner. Mon regard chercha un indice sur le sol, mais c'était stupide. Par mon absence de mots, tous avaient parfaitement compris que je ne pouvais rien leur dire de concret pour l'instant. C'était plus qu'anormal, cela relevait de l'impossible. Aucune maladie connue ne produisait ce genre de réactions, même pas une cécité temporaire.

On en saura plus après les examens...

ajoutai-je simplement avant de m'installer en voiture.

J'ai la même mauvaise impression bizarre qu'en sortant de l'épicerie l'autre fois...

dit Trisha à mi-voix, encore un peu sans dessus dessous par les émotions, alors qu'elle se tenait près d'Aahron. Elle lui lança d'ailleurs un de ces regards pour lui transmettre toute son inquiétude.

Moi aussi j'ai cru reconnaître quelque chose... Quand j'ai... enfin quand je l'ai un peu brutalisé... Il parlait de la même façon...

Je regardai tour à tour Aahron, Trisha, Allie et Sam, pour revenir vers Aahron. Quelque chose clochait avec notre petit frère, quelque chose que nous n'expliquions pas, mais j'espérais avoir plus de réponses à l'hôpital...
Je démarrai enfin la voiture, et pris la direction de Trimble.

to be continued

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