Ce matin là, le réveil fut plutôt difficile pour le shérif adjoint. Exténué, Grifith s’était étalé la veille sur son lit pour dormir sept heures pleines consécutives, ce qui ne lui était pas arrivé depuis un bon mois. En effet, le brun ténébreux avait la fâcheuse habitude de ressasser tous ses tracas quotidiens. Il restait étendu sur le lit, immobile, ses yeux s’occupant de fixer le plafond pendant des heures. Le silence régnait autour de lui et contribuait d’une certaine manière à accentuer cette déprime qu’il se refusait de partager. Colleen parvenait de son côté à trouver le sommeil sans qu’il ne sache comment. Ou soit, elle le lui faisait croire. Leur relation battait de l’aile. D’ailleurs, on pouvait se demander si ils étaient véritablement un couple tellement leurs discussions se réduisaient au strict minimum. Ils ne pouvaient pas continuer à jouer les faux semblants encore longtemps sous peine de dépérir à petit feu…

Grifith se leva le premier et se montra très discret. Une fois préparé, il quitta son domicile pour rejoindre le commissariat à bord de sa voiture de fonction. Il pénétra à l’intérieur du bâtiment inoccupé à ce moment là. Kathleen devait être en congé tandis que Declan vadrouillait probablement quelque part. Tranquillement, le soleil entamait son ascension dans ce ciel bleuté jusqu’à perte de vue, la température augmentant de quelques degrés.

Une demie-heure plus tard, l’adjoint du shérif se retrouvait derrière son bureau à effectuer de la paperasse. Grifith peinait pour maintenir les yeux grands ouverts tout en sachant qu’il devait s’occuper de toute urgence de ces chiens errants saccageant tout ce qui pouvait se trouver sur leur chemin. Les plaintes s’étaient multipliées ces derniers jours. Leur capture paraissait nécessaire pour leur survie. Les habitants de Grayson pourraient être tentés de sortir leur winchester. Il ne manquerait plus que l’un d’eux se blesse avec un de ces fusils n’ayant pas servi depuis des décennies. Bref, tout pouvait évoluer très vite même si la situation n’était pas alarmante non plus. La théorie de l’effet papillon n’était peut être pas qu’un délire scientifique….

Le jeune homme lâcha un soupir tout en se relevant de son fauteuil pour rejoindre la machine à café. Il prépara la mouture de café et l’eau nécessaire avant d’attendre patiemment que son breuvage énergisant soit prêt à être consommé, le regard fixant le récipient de la cafetière. Il se servit ensuite cette boisson bouillante dans sa tasse, toujours aussi pensif. Tout un tas de choses circulait dans son esprit mais il revint à l'instant présent assez rapidement. Il valait mieux qu’il soit bien réveillé et en pleine possession de ses moyens afin de pouvoir capturer ces caïds à quatre pattes.

Tout à coup, Grifith entendit du bruit dans le hall. Quelqu’un venait de faire son apparition dans le commissariat au vu du grincement strident de la porte d’entrée, reconnaissable entre mille. Curieux, l’agent assermenté déposa sa tasse quasiment terminée sur son bureau et s’avança vers la porte donnant sur le couloir. C’est alors qu’il tomba nez à nez avec une inconnue. Une blonde aux environs de la trentaine, plutôt élancée et au charme certain. Elle ne tardait pas à donner la raison de sa visite matinale, allant droit au but. Grifith sonda ses yeux azur quelques instants , le regard toujours aussi neutre. Il finit par hausser des sourcils brièvement tout en gardant cet air aussi énigmatique mais pas hostile.

«Bonjour…Ce sera tout Mademoiselle Phillips ? »

Sa question resta ainsi en suspens. Le ton de sa voix ne démontrait pas le moindre signe d’ironie dans ses propos alors que justement, s’en était un peu. Il finit par rompre ce contact visuel à l’intensité étrangement grandissante. Puis, il se retourna pour aller s’installer derrière son bureau, invitant la jeune femme à prendre place sur le fauteuil se trouvant face à lui. Les deux coudes posés sur la surface plane du bureau, le shérif adjoint reprit la parole d’une voix toujours aussi posée comme si il maîtrisait parfaitement son sujet. rkolivegreen]«Et je peux savoir pourquoi vous désirez autant consulter ces archives ? »

Une fois assis derrière son bureau, Grifith repensa brièvement à la demande de l’inconnue qui se tenait devant lui. Comment se faisait-il que les Donnelly soient si pressés alors que l’accident ne datait pas d’hier ? C’était plutôt étrange. Mais, le shérif adjoint ne put disposer du temps nécessaire pour continuer à alimenter cette réflexion. Miss Phillips embraya presque aussitôt.

Le flic vint saisir de sa main gauche la carte de visite de l’avocate, lui accordant un simple coup d’œil avant de la reposer sur son bureau. Cela ne lui disait rien bien évidemment. Qui se souvient des noms des cabinets d’avocats que l’on peut croiser dans la rue ? D’autant plus qu’elle n’était pas de Grayson…

Il prit le temps de l’écouter tout en adoptant une posture et un air assurément songeur. Il est vrai que certains problèmes administratifs pouvaient survenir lorsque les dossiers circulaient dans les bureaux des autorités compétentes. Toutefois, même si il comprenait les motivations qui la poussaient à venir ici, Grifith ne pouvait l’aider davantage. Il inspira profondément puis reposa son dos contre le dossier de sa chaise de bureau.

«Cleveland aurait pu nous dire qu’il manquait des documents au lieu de laisser cette affaire traîner… »

L’agent de police frotta son index contre son menton de manière répétée, réfléchissant consciencieusement à sa réponse. Il n’était pas du genre à faire une entorse au règlement ou à la procédure.

«Ecoutez, je comprends très bien votre situation et j’aimerais vous aider à en finir avec cette affaire…Mais, je ne suis pas censé remettre ces documents aux bureaux de Cleveland de cette manière. Je pense que la meilleure solution serait de les contacter dans la journée et je verrai alors quels sont les documents manquants en question avant de les renvoyer…En plus de cela, il faut que j’en parle aussi avec mon supérieur puisqu’il s’était occupé de ce dossier à l’époque…»

Grifith n’avait aucune envie de lui mettre des bâtons dans les roues. Il s’agissait juste d’une histoire de procédure administrative. S’il venait à accepter et à lui remettre les documents en mains propres, les avocats de tout le pays se permettraient de venir récupérer en personne le dossier qui les intéresse. Mais, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Et il y avait probablement des chances de perdre sa place au commissariat. Grifith le savait bien. De plus, même si elle adoptait le champ lexical du parfait avocat, il se devait de contacter le cabinet mentionné sur la carte de visite pour en avoir la certitude.

Quel casse tête. Si l’on s’en tenait au règlement, Grifith n’avait pas à se poser toutes ces questions. Le document n’avait pas à passer par les mains de l’avocate. Toutefois, il ne pouvait nier que la meilleure solution serait de classer cette affaire le plus rapidement possible, vu le remue ménage orchestré par les Donnelly.

L’agent de police déposa sa main gauche sur son front avant de le frotter lentement et nerveusement, plissant légèrement des paupières. Décidément, cette affaire était ingérable. Il y avait toujours quelque chose pour aller de travers. Les Donnelly attiraient la poisse de Grayson il faut croire….

«Bon on va faire comme ça… » lâchait-il dans un soupir lourd de sens.

Sa main gauche vint atterrir sur la surface du bureau avant qu’il ne redresse la tête, l’air résolu. Declan n’aurait peut être pas pris cette décision. En cas de souci, Grifith pouvait toujours prétexter qu’il n’est qu’un adjoint qui ne dispose pas encore de l’expérience nécessaire pour éviter de commettre ce genre d’erreur. Sa main droite tira un des rangements de ce bureau en bois massif. Puis, Grifith tria à vue d’œil les dossiers avant de tomber sur le bon. Le tiroir reprit sa place après une poussette plutôt énergique et le shérif adjoint fit glisser la pochette cartonnée ornée au coin supérieur droit d’une inscription au marqueur qui n’était autre que le nom de cette famille au destin tragique.

«Bien sur, vous n’aurez pas les originaux. Il s’agit de la copie du dossier que je m’étais faîte. Ca devrait suffir pour les autorités de Cleveland. Maintenant, je veux être tranquille !»

Les traits du visage du shérif adjoint s’adoucissaient au fur et à mesure qu’il énonce sa dernière réplique. Il paraissait bien plus avenant. Sa subtile touche d’humour à la fin de ces propos le démontrait. Le flic se releva pour raccompagner la blonde à la porte de son bureau, quelques instants après avoir entendu cette proposition anodine. Grifith haussa des sourcils, amusé, sans détourner le regard, entrant dans le jeu de l’avocate au regard perçant de manière presque involontaire.

«Vous faîtes toujours cette proposition aux flics que vous croisez dans des endroits perdus ?...D’accord, ce sera l’occasion de vous donner une bonne image de Grayson avant votre départ.. »